jeudi 26 janvier 2012

FC Mars-elona.

C'est difficile d'être humain. La supériorité des autres nous semble machiavélique, car dénuée de raison. C'est pour cela qu'il convient de tout faire pour analyser les causes de cette domination.

La tendance populaire se confirme dans les propos du milieu français de l'Olympique de Marseille, Mathieu Valbuena, "On ne pratique pas le même métier". Cette phrase, élément de langage pur et dur, on l'entend, on la lit un peu partout, au sujet du FC Barcelone de Josep Guardiola. Ceux qui la prononcent y croient dur comme fer. Ils sont convaincus, comme de pauvres fidèles, aveuglés devant l'impossible et inconcevable
Providence. Et l'espagnol est un très joli langage pour évoquer les puissances intouchables, comme l'a prouvé Garcia Lorca, comme le prouve ici le défenseur du Real Madrid, Sergio Ramos:

"Hay cosas con las que no se puede luchar"

Il y a des choses, des choses, contre lesquels on ne peut pas lutter.

Je m'évertuerai à expliquer pourquoi je pense que Valbuena et Ramos ont tort.

D'abord, parce que le football est un jeu qui se joue à onze contre onze, sur un terrains aux dimensions mathématiques précises. Il y a un ballon, le but est de le glisser dans les filets de l'équipe adverse. C'est ce métier là dont parle Valbuena, et il pratique le même que Messi et Piqué.

Ceci étant dit, ce qui fait du Barça une équipe au dessus de toutes les autres, c'est sa manière d'envisager le-dit métier. Un balayeur peut penser qu'il passe ses journées à ramasser les saletés des autres; un autre balayeur peut considérer qu'il rend service à la collectivité. Ces deux balayeurs font le même métier. Mais ils ont des visions différentes, et l'effet que cela peut avoir sur leur rendement peut s'avérer crucial.

On parle souvent de "fond de jeu", de "philosophie": selon moi, le Barça est l'équation parfaite entre l'humain et le non-humain. Entre l'émotion et le machinal. Quand une telle formule parvient à l'apogée de son alchimie, on obtient la liberté.

Déjà, à la base, l'équilibre du Barça est basé sur une utilisation parfaite des ressources humaines fournies par le centre de formation (Xavi, Iniesta, Messi), mélangé aux stars payées à coup de millions (Eto'o, Ibrahimovic, Sanchez). Pratiquement aucune autre équipe en Europe ne possède un tel équilibre, excepté peut-être, Manchester United.

1. Le Barça est humain.

Dire qu'on ne peut pas lutter contre Barcelone, c'est terriblement immature. Le football n'est pas une guerre. Jouer contre le Barça, déstabiliser cette équipe, ne demande pas forcément de lutter. Un effort physique intense pour empêcher la relance, un replacement constant, une rigueur perpétuelle, un jeu collectif fait de passes réussies. Tout cela vaut bien mieux que "mouiller le maillot", "être agressif sur le porteur". Le vocabulaire a son importance. Le football, comme toutes les activités collectives, inclut une grande part de communication. Quand Sergio Ramos utilise le verbe luchar, il démontre que son impuissance a une cause, et que cette cause, c'est la haine.

Tout cela n'est pas question de tactique. Beaucoup pensent que ce n'est qu'une question de stratégie offensive ou défensive. Pourquoi, face au Barça, les joueurs du Real semblent incapables de rivaliser ? Ils ont pourtant de réelles qualités techniques et athlétiques. Mais le message qu'ils transmettent à chacune de leur passe est un message négatif, emplit de rage malsaine, quand celui que véhicule le Barça est positif.

Regarder un clasico est étrange. On se dit que cela devrait être un plaisir de jouer au football, encore plus contre ses amis.

Garcia Lorca a la clé des soucis de S. Ramos:

Señor que me devuelva
mi alma antigua de niño,
madura de leyendas,
con el gorro de plumas
y el sable de madera.

Balada de la Placeta, 1919

Ce qui est beau avec le Barça, c'est l'esprit "cour de récréation". "L'épée de bois". L'enjeu n'est jamais plus important que le jeu.

L'explication la plus plausible est que les Barcelonais aiment le ballon. Le football est un mode d'expression. Quand le pied rentre en contact avec la balle, celui-ci lui communique une émotion.

Il suffit d'observer la réaction du ballon quand un joueur du Barça le réceptionne et frappe. Toutes ces frappes de mules, cette mode du but de derrière les 30 mètres: Lionel Messi s'en est moqué. Il marque comme James Jamerson joue de la basse, avec finesse.



Les joueurs du Barça sont tendres et fermes avec la balle. Ils la caressent, ils la domptent. Ils ne sont pas pressés de la frapper. Cela peut attendre. Ils n'aiment pas non plus se foutre d'elle, la faire languir. La balle a envie de bouger et de vivre. La balle fait partie du jeu.

Le Barça de Guardiola est une équipe différente des autres car elle considère le ballon comme un coéquipier.

2. Le Barça n'est pas humain.

Comme le disait récemment Seydou Keita, le Barça ne demande à ses pensionnaires que deux choses, de la petite enfance jusqu'à l'équipe première: contrôler et passer. Un peu comme la base d'un programme informatique: 0, 1. Contrôle. Passe. Le protocole n'a rien de compliqué. On ne demande même pas aux joueurs d'être intelligents, d'avoir de la créativité et de la lucidité, d'être bon devant le but: ces qualités sont reléguées au second plan. D'une certaine manière, les Barcelonais sont des robots.

Dans la philosophie du Barça, on semble considérer que le plus difficile, ce n'est pas la frappe boulet de canon à 30 mètres du but et le triple passement de jambe suivi d'une roulette et d'un coup du sombrero. Le plus difficile au Barça, c'est le contrôle du ballon.


Contrôler la balle demande plusieurs qualités: ne pas être sujet au stress et à la panique, car il faut aller vite; savoir utiliser toutes les parties du corps, son buste, ses genoux, l'orteil, le talon. Mais surtout le cerveau, habitué, inlassablement. Contrôler devient un sixième sens. Les contrôles des joueurs du Barça sont encore plus exceptionnels que leurs buts. De la même manière que les poissons ont des bronches, que les oiseaux ont des ailes, les Barcelonais aimantent les ballons.

Alors, oui, mettre en échec ce Barcelone est possible. Comme toutes les machines, elle aussi a ses failles. Et non, le métier de footballeur n'est pas différent, de Marseille à Barcelone, en passant par la forêt Amazonienne. La seule chose qui change, c'est la réflexion sur le jeu, l'âme du jeu.

Le football est beau pour ces raisons là. Gagner n'a plus tellement d'importance désormais. Le Barça est revenu nous le rappeler. Comme dans la musique, comme dans le cinéma, c'est la démarche qui est importante. Si l'on n'est pas libre dans son approche, à quoi sert de vivre ? C'est la démarche qu'on louera à jamais, c'est elle dont les échos se répéteront indéfiniment contre les parois du temps.

Ajax, 1971. Real, 1955. Saint-Etienne, 1976.

‎"Le jeu de la France et du Brésil en 1986 et encore plus en 1982, selon moi c'était la liberté. La liberté." Socrates

Bizarrement, les parallèles se font naturellement en musique. Quand j'écoute le Barça jouer, je vois la même liberté qui découle des Basement Tapes de Bob Dylan, enregistrées en 1967. La même qu'on entend sur "Move On Up" de Curtis Mayfield. La même dont disposaient Ian Curtis, David Bowie, ou Jacques Brel. La même dont jouissaient Jay Reatard, Otis Redding et Screamin' Jay Hawkins.

C'est vrai que c'est difficile d'être humain. Ca doit être difficile d'affronter une équipe comme le Barça, d'accepter une telle supériorité. Mais cette supériorité n'a rien de pervers, ce n'est que de la sagesse.

Il faut être libre, libre comme le Barça.