mardi 27 novembre 2012

Les Herbes Amères, premiers extraits.

Il va bientôt être temps de sortir notre troisième album, le premier auto-produit, sur notre propre label (Mélodies Mentales).
Voici les deux premiers extraits.


lundi 26 novembre 2012

Oxmo Puccino - Mourir 1000 Fois

Brel avait bien raison d'être belge.

Tout part d'une faute d'orthographe volontaire. On utilise en général l'auxiliaire être et non avoir pour conjuguer le verbe mourir dans les temps composés de la voix active. Si l'on y pense deux secondes, on peut facilement comprendre pourquoi. Mourir est un état et même quand on se donne la mort, qu'on met fin à ses jours, on n'est jamais vraiment qu'une marionnette, enveloppée par l'état d'être éteint, derrière le voile de l'inconnu. 

Car Oxmo Puccino savait très bien ce qu'il faisait quand il chantait son refrain. Il prenait ses distances, il maquillait la veuve noire qui se faufile sans prévenir dans la nuque et pique sa victime. Insensé, insupportable. J'ai écouté Mourir 1000 Fois des centaines de fois, j'ai pleuré presque à chaque fois. L'humain est tellement faible, son existence se dissout dans verre, puis les bulles disparaissent et l'eau s'évapore. Le seul autre exemple que je connaisse d'une chanson plaçant son auditeur en face de sa mortalité avec autant de vigueur est le Tango Funèbre de Jacques Brel déjà cité ici.

"Est-ce qu'il est encore chaud ? / Est-ce qu'il est déjà froid ?" comme des giflettes assénées aux visages des pauvres gens qui croient en l'après-vie. Même ceux qui pensent déjà au Paradis ont cette intuition refoulée au fin fond de leur conscience, le vertige du néant, le silence assourdissant qui recouvre les lumières de la ville quand tout le monde dort encore. J'écoute souvent Mourir 1000 Fois en rentrant dans ma banlieue l'hiver quand il fait nuit. 

Je ressens des frissons, mais de plaisir, à chaque ligne, chaque idée. Pour moi, cette chanson est moins morbide qu'elle ne le laisse paraître. Dans ses résonances, ses échos, son sample 8-bits, sa faute d'orthographe manifeste, j'y entrevois quelque chose de plus fort que la mort: une débordante humanité. On dit d'Oxmo qu'il est la plus belle plume du rap français, mais c'est avant tout un humain d'exception, je le sais pour avoir eu la chance de l'interviewer. Ce qu'il fait avec Mourir 1000 Fois c'est percevoir avec une justesse de ciseleur un sentiment imparfaitement humain. Comme un photographe expérimental du début du 20ème siècle, Oxmo tâtonne, chatouille, il ose, il rentre dedans. Quitte à être parfois surréaliste dans sa manière de conjuguer les verbes.


Eugène Atget, Avenue des Gobelins, Paris, 1925.


Le morceau cite Demain C'est Loin d'IAM dans son dénouement, chef d'oeuvre massif de la musique française toute entière, qui décrivait fatalement le quotidien des classes ouvrières françaises dans les années 90. "Je pense à Momo, qui m'a dit "à plus" /  Jamais je ne l'ai revu", ralenti, étiré, rabâché. Comme Baudelaire qui dédicaçait ses Fleurs du Mal à Théophile Gautier, Oxmo semble dédicacer la sienne à Shurik'n et Akhenaton. Ce genre de choses ont un nom, et ce nom, c'est la classe. 

Le premier album d'Oxmo Puccino a connu contrairement à L'Ecole Du Micro d'Argent, un succès tardif. Il restera néanmoins à jamais comme un des albums français les plus sous-estimés de son temps. Et si celui-là est sous-estimé, les deux suivants - L'Amour est Mort et Le Cactus de Sibérie - sont à des années lumières du mérite qui doit leur revenir: celui de placer le rap français au rang d'Art. 

Brel avait vraiment raison d'être belge.

BK



J'ai peur de la mort, je le sais, je l'ai vue épeler mon nom 
Appeler des amis, jamais je les ai revus 
Peur que sans moi la vie suive son cours 
Qu'un autre con touche ma thune et que ma fouf’ change de pine 
Et qu'une quelconque loque me copie, que mes potes m'oublient 
Qu'à chaque fois que ma mère ouvre les yeux ses larmes aient doublé 
Ne pas voir son gosse pousser, frotter son dos quand il tousse 
Toucher d'autres meufs que ta fouf'
Si demain le pire arrivait prends ce texte tel un testament 
Pas de biens à partager sauf mes sentiments 
Nos soucis ne sont pas les mêmes, fiston 
Ne mélangeons pas nos pensées 
Je pense qu'on sera jamais amis 

C’est l'existence et ses châtiments 
L'amour des proches est d'or 
J'ai mouru 1000 fois quand Dieu les rappelait à l'ordre 
Profites-en encore tant que t'as le temps 
Nos vies se raccourcissent chaque jour 

Mourir, y'a milles façons, peu le choisissent 
La faucheuse n'oublie personne, ni toi ni moi, jamais oisive 
J'en passe des façons de se casser de la tèc’ 
Des potes qui se disloquent en caisse, des mères se laissant suicider 
Tant de vies perdues dans le triangle "love" des Bermudes 
Un type une fille dénudés, tu viens, tu vois, tu te fâches : t’en tues un 
Le rouge coule, un bougre au sol, l'autre en taule 
Drôle de vie, dire que tout ça part de l'amour – laisse-moi douter - 
On dit perds pas l'espoir, mais faire quoi 
Quand un sale faire-part dit que ton père part d'un cancer ? 
De toute façon c'est ça ou autre chose 
Il y a mille façons d'être soustrait 
De laisser les joues arrosées 

C’est l'existence et ses châtiments 
L'amour des proches est d'or 
J'ai mouru 1000 fois quand Dieu les rappelait à l'ordre 
Profites-en encore tant que t'as le temps 
Nos vies se raccourcissent chaque jour 

Ceux que tu aimes vraiment, tiens-les 
Tel une poignée de sable pendant la tempête 
N'écarte jamais les doigts ou toute ta vie tu le regretteras amèrement 
Et ceux qui t'aiment, adore-les avant la housse 
Car les regrets ne servent à rien arrivé dans l'Au-delà 
Aimer ses amis sans baliser, croire que la vie est longue 
Jusqu'à réaliser l'erreur lors d'une fin de vie 
Le pire dans la perte c'est pas l'être aimé 
Mais le temps de se consoler 
Car quand on meurt c'est pour si longtemps 
Ce qui est à craindre c'est qu'à force 
Que tes proches se taillent à la morgue 
Tu finis par être plus mort qu'eux 
Vu qu'à chaque fois qu'on perd quelqu'un de cher 
On meurt aussi un peu 
Facile d'écrire mourir mille fois 

mardi 20 novembre 2012

Jonathan Richman - Silence alors, silence

Le coach de Saint-Etienne, Christophe Galtier, a récemment fait une bourde sur un plateau de télévision: "Les espagnols ne chantent pas pendant leur hymne, et alors, on le leur reproche ?" Il n'a pas eu le temps de finir sa phrase qu'Eric Di Meco, ancien latéral gauche culte de l'OM reconverti en délicieux commentateur, le coupait: "Euh, Christophe, l'hymne espagnol n'a pas de paroles...". J'insiste et repense donc instinctivement à ce tweet de Didier Braun, historien du football, le 1er juillet dernier: "C'est beau un hymne sans paroles".

Ceux qui me connaissent savent que je milite pour que les auteurs de chansons écrivent dans leur langue maternelle. Ceux qui me connaissent bien savent que quand j'ai commencé mon groupe, j'écrivais en anglais. Ceux qui me connaissent encore mieux savent que je fais des études d'anglais depuis cinq ans, et ceux-là me demandent souvent: "Du coup, tu vas recommencer à écrire en anglais ?". J'ai passé suffisamment de temps à commenter les perles minimalistes de William Carlos William et les toiles d'araignées de T.S. Eliot pour savoir que même en 30 ans de pratique, je ne saurais écrire un texte convenable en anglais et qui retranscrirais mes émotions les plus profondes. Enfin cela dit, en bossant comme un dingue, je pourrais parvenir à maîtriser les problèmes basiques que me poseraient la syntaxe et la grammaire d'une langue vicieuse, qui a la réputation d'être simple, qui est très loin de l'être pour autant que je sache - et je suis en M2. Je pourrais acquérir un bon petit bagage de vocabulaire, si ce n'est pas déjà le cas, pour avoir une palette assez large d'émotions et parvenir à retranscrire à peu près mes idées. Avec un dictionnaire, je pourrais compléter mes lacunes et arriver, au final, à un résultat qui ne sonnerait pas si mal. 


Quelle idée de merde néanmoins. Quelle stupidité. Tant d'efforts, tant d'années, tant de sueur, pour parvenir à un texte correct. Je n'ai sûrement pas écrit de grand morceau, mais j'ai eu les couilles de le faire donc j'ai pu prendre un certain recul par rapport à mon travail. Je me suis rendu compte que pour les meilleures choses, dans 99% du temps, l'essentiel était dans les trois ou quatre premiers mots griffonnés sur la page blanche. Le reste, de la chantilly sur un gâteau. Ces mots, ils me sont venus avec un naturel fracassant, celui que j'entends dans mes rêves, qui se répète en boucle dans ma tête quand j'ai de la fièvre. Ils sont venus dans ma langue maternelle. 


Je me suis récemment pris d'amour pour le football et j'ai compris pourquoi. Les langues permettent de s'exprimer, mais il est incroyablement complexe d'exprimer ce qu'on a vraiment, VITALEMENT, M-O-R-T-E-L-L-E-M-E-N-T envie d'exprimer. Quand je vois des mecs jouer bien au foot - c.f. le Barça - j'ai l'impression qu'ils discutent entre eux avec le ballon, qu'ils communiquent. Quand ils se comprennent, c'est magnifique. Le plupart du temps, en club, les joueurs de foot ne parlent pas la même langue. Mais de gestes techniques en appels, contre-appels, jeu avec ou sans ballon, ils parviennent à mettre sur pied cette absurde chorégraphie qu'est le football. Quand je joue au foot et qu'on me fait une passe, j'ai le sentiment qu'on me donne la parole, à moi d'exprimer ce que j'ai sur le coeur. Tout ça, la bouche fermée.


"Silence alors, silence/ Parce que ta parole c'est comme une poire/ Pour l'un délicieux/ Pour l'autre 
nauséabond" déclame l'ancien troubadour des Modern Lovers, apôtre du rock moderne, en français dans le texte. Richman n'a aucun problème à chanter en espagnol, en italien aussi. Il est aujourd'hui débarrassé du tintamarre électrique, libre avec sa petite guitare classique, sans retours sur scène. Mon admiration est infinie pour cet homme. 

Ce qui compte ce n'est pas tellement la langue dans laquelle on chante. Ce qui compte c'est de sortir de soi des sentiments, des événements, des couleurs, des nuances, des adjectifs, des fins du Monde, des satellites, du poivre, du sel. Ce qui compte, c'est que ça ait de la saveur. 


Sinon, parfois, c'est beau le silence.


PS: "Silence alors, Silence" figure sur l'album de J. Richman ¿ Que venimos sino a caer ? sorti en 2009. J'aimerais pouvoir la joindre à mon post mais elle n'est ni sur youtube, ni sur deezer. Du coup, je 
met un lien spotify vers une autre merveilleuse chanson de Richman en français, "Les Etoiles".

Jonathan Richman – Les Etoiles



vendredi 9 novembre 2012

Sébastien Tellier - Roche

Parler de Roche par Sébastien Tellier est facile pour moi, car j'ai détesté viscéralement ce morceau dès sa sortie. Pour commencer, je déteste la plage. Je me réfère au fabuleux monologue d'un acteur pour qui j'ai la plus haute estime, Fabrice Luchini: "Lui, il a décidé d'enlever le tee-shirt bon là y a une décision...Mais tu vois tout est mystérieux, pourquoi cet homme a tout d'un coup décidé d'une déglingue totale, il enlève le tee-shirt à ce moment là. T'as vu comme les mecs suivent sans aucune détermination, d'ailleurs plus personne suit là, ils savent plus ce qu'y faut faire." Comme Luchini, j'ai toujours conçu la plage comme le lieu ultime de la débilité humaine - débilité au sens faiblesse. Masses attroupées sur une substance tellement chiante qu'elle parvient, peu importe le niveau de prévention, à rentrer par tous les pores de notre existence. La serviette, les oreilles, le téléphone, la pizza. Face au soleil qui brûle la peau, jouer comme des chiens dans les vagues. Ici, chaque activité est superficielle, raquettes, mots croisés, bronzette, trempette. Rien n'a trop de sens à la plage.



Je voyais Roche comme une plage embouteillée sur laquelle je pataugeais péniblement afin de poser ma rabane et de planter mon parasol. Puis le temps, comme une marée haute passa, libérant de l'espace et je parvins enfin à respirer le brillant air d'une mer débarrassée de sa pollution ambiante. Un air chargé de bonheur, qui évoque Biarritz (je n'y suis jamais allé) mais qui pourrait évoquer n'importe quelle étendue déserte, forêt de pins aux embruns salés, métropole ultra-moderne à 5 heures le matin, paysage immense tout droit sorti d'un tableau de l'Hudson River School.



J'ai enfin compris que Roche ne parlait pas de la plage, ni de fille, ni de Sébastien, ni de bobos, ni de French Touch, ni d'amour et encore moins de sexe.

Roche parle de souvenirs. Un lieu, le sud ouest de la France. Une sensation, le vent chaud. Une couleur, le bleu. Tout ce qui peut rester d'un été ou d'un hiver, d'une défaite ou d'une victoire, d'un décès ou d'une naissance. Tout ce qui peut découler lentement de la vie, s'introduire comme le sable par tous les pores, et ne jamais jamais sortir. Roche est un morceau répétitif, comme un cerveau qui chercherait à se rappeler comment ça faisait, à ce moment là, qu'est-ce que je ressentais, où j'étais. Jusque dans les changements brutaux de modes temporels: "Je vois le ciel bleu t'épouser / Et moi d'UN SEUL COUP t'aimer". Flash, un peu à la façon de Gondry dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Les souvenirs sont dépeints comme des labyrinthes tortueux, rêve et réalité s'entrechoquent, laissant apparaître des objets surréalistes, ces "filles qui changent de couleur de peau". Déglingue totale.

Roche cherche désespérément à saisir un morceau du passé perdu à jamais dans les méandres vertigineux du temps, et creuse donc avec insistance par ce rythme frénétique de boucles de claviers d'une autre époque. J'admire aujourd'hui la simplicité des mots qui composent l'architecture de Roche, un grand moment de minimalisme, donc l'écho s'installe déjà tranquillement dans ce temps dont on a tant parlé ici, déjà.




Je rêve de Biarritz en été
Pourtant le soleil brille sur ma peau
Je rêve de biarritz en été

Je vois des filles qui changent de couleur de peau
Je vois le ciel bleu t'épouser
Et moi d'un seul coup t'aimer
Je rêve de toi et moi, mains dans la main

Amoureuse de Sébastien
Le soleil brille et brûle mon nom sur ta peau
Amoureuse du vent chaud
Je sens la chaleur de l'été

S. Tellier