vendredi 7 juin 2013

PAROLES: Les Shades - Mandragore

L'avion vacille dans la nuit,
De Californie vers Paris.
Demain ce sera difficile,
D'être lucide dans la ville.

Minuit, une heure, deux heures, c'est l'heure.
Dormir, plonger, le noir, coaltar.

Somnifère hallucinatoire!

Plantes modernes et carnivores,
Espèces disparues de dinosaures.
Poison rare pour songes intenses,
Disponible sur ordonnance.

Pharmacien dépressif,
Chirurgien psychopathe,
Des effets progressifs,
Mutation en mille-patte.

Minuit, une heure, deux heures, c'est l'heure.
Dormir, plonger, le noir, coaltar.

Somnifère hallucinatoire!



 B.K.

True story...


jeudi 6 juin 2013

A dead-end street in a city without a heart.

Paraît que le concert de Sixto Rodriguez à la Cigale était le meilleur des trois dates parisiennes.

Ça ne soulagera pas ma douleur face au flot de commentaires tous plus stupides les uns que les autres concernant la capacité du chanteur à se tenir sur une scène, à égrener des accords, puis son état de santé, d'ébriété; un coup ce sont les vils producteurs avides de sucer la carcasse du fabuleux "Searchin' For Sugar Man" jusqu'à la moelle; un coup c'est son groupe, dont j'ai lu qu'il ressemblait à celui "d'un bal du 14 juillet". As-tu déjà fait de la musique, toi le journaliste qui écrit ces sottises? Certes, tu es un observateur, pas un musicien. Ton rôle n'est pas de donner des leçons. Ton rôle est de comprendre. Et tu n'as pas compris.

Un groupe de "yada yada yada 14 juillet" n'a pas cette formidable capacité à soutenir la grâce ultime d'un artiste de 70 ans (eh ouais, tout le monde ne peut pas faire des cures à Merano chaque été pour se faire changer le sang comme...). Il suffisait d'observer les jeux de regards entre la section rythmique, le guitariste et le claviériste pour comprendre l'extrême difficulté de la tâche d'un groupe qui doit hisser un mat en pleine tempête. Les meilleurs musiciens du monde n'auraient pas fait mieux. Ce n'est pas une question de technique, c'est une question d'avoir de l'empathie, de savoir anticiper ce que va faire l'autre, de savoir l'écouter.

As-tu déjà écouté tes grands parents raconter le fil décousu de leur incroyable vie au restaurant le dimanche, quand il fait beau? Perso je l'ai fait. Je pensais à cela hier en voyant les musiciens de Rodriguez décorer joliment ces chefs d’œuvres sous-terrains mais pas moins éternels.

Certains étaient trop occupés à regarder le concert à travers leurs portables pour écouter. Capturer un instant dont il ne se souviendront jamais puisqu'ils ne l'ont PAS VU avec leurs YEUX. J'étais obligé de penser au sketch de Louis C.K. pendant les trois quarts du concert à cause d'un touriste à la con qui filmait sur son Samsung Galaxy S3 (un portable peut-il prendre plus de place dans un champ de vision?) des vidéos qu'il ne regardera pas, ou une fois...Bon.



Rodriguez a bien eu raison de ne pas naître en France, il ne serait jamais sorti du chantier où il a passé sa vie.

Depuis quand la France est devenu un pays si conservateur et moralisateur? Ah oui, depuis toujours.

C'est vrai que Rodriguez, il y a 4 ans, jouait devant 300 personnes au Nouveau Casino. Comme Jonathan Richman. Qui lui ne remplit toujours pas de Zénith, j'attends sagement qu'un réalisateur oscarisable daigne lui consacrer 90 poignantes minutes.

C'est donc vrai que Rodriguez est tout frais, tout neuf. Malgré les controverses qui entourent l'authenticité du documentaire le concernant (il aurait tourné plusieurs fois en Af-Sud avant les fameuses images de son "premier concert" là bas), Rodriguez est resté éloigné et n'a pas évolué artistiquement dans ce monde extrêmement étouffant qu'est celui des festivals, de la tournée, une vraie mafia destinée à satisfaire un public dont les oreilles sont de plus en plus formatées.

Comme une masse nourrie à la junk-food, cette ogresse est affamée de boucles assourdissantes balancées à grand coup de MacBook Pro, de synthétiseurs numériques impersonnels, de batteurs tous plus rapides et techniques les uns que les autres, de chanteurs qui répètent leurs gammes, maîtrisent le vibrato et se nourrissent d'Evian, de tisanes à l'erysimum et de salades d'endives.

Les groupes du "circuit des festivals" d'aujourd'hui veulent tous rivaliser de puissance, et s'écrasent les uns les autres, pour finalement tous sonner pareil.

Il y a une tendance actuelle à penser qu'acheter sa place pour un concert vous donne tous les droits. "Le client est Roi". Sauf que la musique est un Art, et que les artistes ne vous doivent rien, ils n'ont pas à se conformer, ils n'ont pas à jouer en rythme, ils n'ont pas à chanter juste. C'est déjà assez difficile de devoir se désaper devant 1, 10, 100, 1000 personnes. Il faudrait en plus se baisser, pencher la tête, et prendre les coups de fouets à la moindre note jouée de travers, au moindre clic d'un métronome qui n'en peut plus de marteler? Où est la vie putain, où est la sensibilité?

Vous clappez des mains vous, quand vous allez voir un virtuose jouer une sonate au piano? Non, vous vous taisez, vous écoutez, vous laissez l'artiste exprimer sa sensibilité, son groove, sa sensualité et donc même sa mortalité, fragilité, vulnérabilité.

Rodriguez hier, sur la scène de la Cigale, incarnait cette liberté. Celle que j'entends sur 'Astral Weeks' de Van Morrison quand le chanteur et sa guitare s'échappent et que les arrangements célestes tentent magistralement de le canaliser. Celle que j'entends en voyant Bob Dylan éclabousser d'électricité ces crétins d'anglais en 1966 (et pas 65, merci Fred), trop puritains pour comprendre le chaos. Celle que j'entends quand Jacques Brel s'insurge à la fin du "Tango Funèbre":

"Je me vois tout au bout
De ce voyage-là
D´où l´on revient de tout
Je vois déjà tout ça
Et l´on a le brave culot
D´oser me demander
De n´plus boire que de l´eau
De n´plus trousser les filles
De mettre d´l´argent d´côté
D´aimer l´filet d´maquereau
Et d´crier : "Vive le roi!"
Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! Ah!"

Paris n'a vraiment aucune âme.